On croyait le sujet clos, mais les tee-shirts bleus ne l’entendent pas de cette oreille. Jeudi, les ex-GM&S, l’équipementier automobile creusois racheté en septembre, étaient à Limoges, où ils contestaient devant le tribunal l’homologation du plan social qui a autorisé le licenciement de 157 d’entre eux (sur 277). La justice administrative rendra sa décision lundi et devrait suivre le rapporteur public, qui estime que «l’homologation a été insuffisamment motivée». Une condamnation «de pure forme», se défend la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. En effet, l’annulation du plan social ne sera que temporaire, l’Etat ayant quinze jours pour émettre une nouvelle homologation. Mais la décision, même symbolique, serait forte pour ces ouvriers qui envisagent un deuxième round judiciaire.

L’affaire avait débuté en décembre 2016 par un placement en redressement. Pour la énième fois de son histoire, l’usine de La Souterraine (Creuse) était en défaut de paiement. Ses salariés affirmaient, preuves à l’appui, que leur situation avait été orchestrée par leurs principaux donneurs d’ordre (PSA et Renault). De quoi faire de cette usine, principal employeur privé de la Creuse, le premier dossier chaud du quinquennat Macron et le feuilleton politique de l’été. Réunions en préfecture, audiences élyséennes, négociations ministérielles, manifestation et blocage de sites constructeurs : durant des mois, les GM&S ont imposé leur rythme.

Chargé d’éteindre l’incendie, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a dû céder à toutes les exigences du repreneur et aller chercher d’arrache-pied des engagements de commande pour obtenir que le groupe GMD rachète ce site industriel arrêté trois mois durant, sans avoir provoqué de manque dans la filière… Démontrant, comme le craignaient les ouvriers, que les constructeurs avaient pris soin de doubler leurs commandes de pièces ailleurs.

Rachetés sous le nom de LS Industry (LSI), à la condition d’un plan social drastique qui a vu le licenciement de plus d’un salarié sur deux, la détermination des Creusois n’a pas faibli, même loin des caméras. Depuis plus d’un an, ils conduisent une véritable guérilla contre le gouvernement. Ils sont les visages de la contestation pour les uns, le reflet flou de l’«ancien monde» pour les autres. Portraits.


Franck Cariat, 42 ans : le quadra parti vers d’autres luttes

Portrait de Franck Cariat, délégué syndical, ex salarié de GM&S. Franck occupait le poste de référent en sécurité et environnement airgonome. 
COMMANDE N° 2017-1820

Franck Cariat, la quarantaine, a été licencié en décembre, après plus de vingt ans dans l’entreprise. Il a beau être l’un des plus jeunes salariés de la boîte, il a déjà passé la moitié de sa vie dans cette usine. Mercredi, pour la première fois, il a poussé les portes de Pôle Emploi. «Ils ont regardé mes compétences et n’ont pas eu l’air trop inquiets, peut-être parce que je n’exclus pas de monter ma société.» Avec sa femme et ses trois enfants de 3, 7 et 10 ans, le quadra espère ne pas avoir à quitter le territoire. «Sinon, il va falloir trouver du travail pour deux et vendre la maison, ce qui n’est pas facile en Creuse…»

Comme pour beaucoup de ses collègues, «c’est dur de tourner la page de ce qu’on a vécu ensemble». Depuis septembre, Franck Cariat est donc impliqué quotidiennement dans l’animation d’une organisation née afin de poursuivre les actions engagées. Avec pour logo un petit gaulois arborant le «tee-shirt bleu» et des chaussettes rouges, l’association de soutien et de défense des salariés de GM & S et ex-GM & S réunit environ 250 personnes. Elle a vocation à «continuer de défendre les intérêts des salariés, mais également à maintenir le lien entre nous pour veiller sur les plus fragiles». Avec notamment comme mission «d’aider les recours en justice et de faire vivre l’esprit de notre combat au-delà de notre histoire». C’est à ce titre qu’une délégation de tee-shirts bleus est attendue le 10 février à Paris, pour l’avant-première du film que Lech Kowalski leur a consacré.

Cette notoriété acquise au fil des journaux télévisés, Franck Cariat veut également la mettre au service d’autres luttes : «Je pense aux ouvriers de Sept-Fons. Un site [une usine de PSA, dans l’Allier, ndlr] qu’on a bloqué cet été et dont l’avenir est menacé.» La bouche serrée et les yeux doux, il affirme : «D’autres entreprises petites ou grandes n’ont pas forcément les moyens de se bagarrer. Nous, on a envie de leur montrer qu’il n’y a pas de fatalité, que tout est possible. On en est l’illustration. Comme le dit notre avocat : "Il n’y a de batailles perdues que celles qu’on n’a pas menées".»


Yann Augras, 45 ans : le délégué CGT qui est resté

Portrait de Yann Augras, délégué syndical et préparateur presse. Repris dans l'entreprise. 
COMMANDE N° 2017-1820

Yann Augras, vingt-sept ans d’ancienneté, préparateur gros tonnage aux presses automatiques et élu du personnel, a gardé son emploi. Mais pas sans rancœur. «En septembre, quand le couperet est tombé, j’ai pris une grosse claque dans la gueule. Après avoir bossé vingt-cinq ou trente ans avec des gens, revenir au vestiaire le matin pour te changer, être en slip et s’apercevoir que t’es tout seul, que t’as plus tes potes à côté de toi… c’est vraiment dur.»

Pour lui, la nouvelle a été une surprise : le fort en gueule très médiatique fait partie des 120 emplois sauvés. Mais il n’a rien perdu de sa verve : «Honnêtement, je ne m’y attendais pas. Quand tu es élu CGT et que t’as mené une bataille de dix mois, où t’as été à Paris secouer les ministères et partout en France chatouiller les constructeurs, a priori, tu sais que t’es dans la ligne de mire.» Déchiré entre la joie d’avoir conservé son job et la tristesse d’avoir perdu ses collègues, il confesse : «Franchement, je ne suis pas rassuré sur l’avenir de l’entreprise. Quatre mois après la reprise, l’usine tourne à 30 %. Ils sont loin les 25 millions de chiffre d’affaires maintes fois promis par l’Etat et les constructeurs. Mercredi, il y avait du travail pour 25 personnes sur 120… J’ai de gros doutes sur les commandes pour 2018.» Avec comme conséquence «pas de développement, pas d’investissement et pas de pérennité du site. On a beau avoir sauvé notre boulot, il vaut mieux ne pas s’y habituer».

Raison pour laquelle, depuis septembre, l’élu du personnel pose régulièrement des heures de délégation pour soutenir les actions de ses collègues licenciés. «On ne coupe pas le lien avec eux. Moi, je fais partie de la cellule de suivi du plan social. Les copains nous disent que c’est difficile d’avoir des interlocuteurs, alors on essaye de secouer l’administration pour qu’ils aient leur formation, leur accompagnement, qu’ils retrouvent vite un emploi. Dans un bassin sinistré, c’est primordial de ne pas perdre de temps.» Et de prévenir, dans un éclat de rire déterminé: «Il faut vous y préparer, GM& S-LSI, ça va continuer !» 


Jean-Louis Borie, 62 ans, avocat clermontois : le maître à l’œuvre depuis 2014

Portrait de Jean Louis Borie, avocat des GM&S 
COMMANDE N° 2017-1820

Silhouette longiligne, écharpe rouge et Perfecto intact, l’avocat Jean-Louis Borie n’a pas passé un jour, depuis septembre, sans prendre des nouvelles des salariés de GM&S. Avocat «engagé» sur tous les fronts sociaux, il est à l’aise sur ce genre de dossiers. Mais avec ses clients creusois, c’est un peu plus que ça. «Je continue à porter leur combat : ici au tribunal administratif mais également pour les LSI, les salariés repris, pour lesquels une nouvelle bataille s’annonce. En effet, l’ensemble des accords d’entreprise qui les protégeaient seront bientôt annulés.»

«Militant», il était dans la rue contre les ordonnances Macron, «car elles représentent une catastrophe sociale.» Entre deux coups de fil à ses protégés creusois, il se consacre, avec le Syndicat des avocats de France (SAF), à développer des stratagèmes pour contrebalancer les ordonnances travail. «Avec les confrères, on réfléchit aux moyens de droit pour faire en sorte, par exemple, que le plafonnement des indemnités prud’homales ne soit pas retenu par les juges. A ce titre, on est en train de développer toute une stratégie de résistance, qui entend démontrer que ces ordonnances ne sont pas conformes au pacte social européen.» Parallèlement, les gros dossiers sociaux continuent d’affluer, comme le plan social de la Seita à Riom (Puy-de-Dôme).

Quoiqu’il en soit, «le dossier creusois va durer plusieurs années, probablement même après mon départ du cabinet.» Et de dévoiler une stratégie judiciaire au long court, passant par l’annulation de l’homologation du plan social par le tribunal administratif, des recours aux prud’hommes ou encore le contentieux du licenciement des salariés protégés . Mais l’homme envisage aussi de s’attaquer au poisson qu’il vise depuis le début : le constructeur automobile PSA, dont il veut engager la responsabilité civile. Car «il est hors de question de laisser les constructeurs s’en tirer à bon compte, en faisant payer par l’Etat les conséquences de leurs stratégies industrielles catastrophiques pour les territoires».


Vincent Labrousse, 47 ans : le syndicaliste licencié qui veut faire la loi 

Portrait de Vincent Labrousse délégué syndical, ex salarié de GM&S. Vincent était technicien méthode chargé d'industrialisation.  
COMMANDE N° 2017-1820

Elu CGT, licencié le 16 décembre, Vincent Labrousse était automaticien-roboticien au bureau des méthodes. Entre la reprise de l’usine en septembre et l’annonce de son licenciement en décembre, il est resté sans information sur son sort. «Je m’y attendais, mais ça a été un gros coup», soupire-t-il. Il fait partie des neuf syndicalistes licenciés sur les douze. Un débarquement qu’il vit «comme une injustice».

Pour autant, celui qui incarne toujours le visage syndical de GM&S, endossant malgré sa timidité le rôle de porte-parole, n’a pas vraiment quitté l’usine. «Mes journées sont bien remplies, voire chargées ! On a beaucoup travaillé sur l’annulation du plan social qu’on est sur le point d’obtenir, mais également sur l’aide et l’appui aux salariés licenciés, afin de recueillir leur parole et de faciliter leurs échanges avec les administrations.» Encore sous le choc de son propre licenciement, il confesse : «Pour l’instant, j’ai vraiment du mal à me projeter dans autre chose. J’ai eu mon premier rendez-vous à Pôle Emploi cette semaine, et pourtant, tout ça est encore très vague pour moi. Je ne le vis pas bien, c’est clair. Je vais essayer de faire autre chose, je ne sais pas quoi, mais ce qui est sûr, c’est que je n’ai pas envie de me laisser aller.»

Son temps, il le passe avec Me Jean-Louis Borie. «Avec l’appui de son cabinet, j’ai passé du temps sur la future plainte contre les constructeurs PSA et Renault. On a travaillé sur les moyens de démontrer qu’ils n’étaient pas de simples clients, mais qu’ils contrôlaient tout dans l’usine.» Et c’est ainsi qu’a germé une nouvelle idée : un projet de loi dit GM&S. «On s’est dit : pourquoi pas proposer quelque chose à partir de notre expérience ? Car ce qui est vrai pour nous l’est aussi pour l’aéronautique, le naval, le ferroviaire… Certes, les industriels sont confrontés aux enjeux d’une économie mondialisée, mais ça n’excuse pas tout. Quand on tient 80 % d’un carnet de commandes, on a une responsabilité dans les drames humains qu’entraîne un plan de licenciement de l’ampleur de celui qu’on a connu. C’est le sens du projet de loi qu’on va écrire.